Plusieurs avions, un drone et des centaines d’heures de vol. Depuis 2018, Frontex assure pour l'Europe une surveillance intense dans le ciel de la Méditerranée. Mais les images que l’agence de garde-frontières réalise ne servent pas qu’aux États membres : les autorités libyennes, qui ne sont pas censés y avoir un accès direct, s’en servent aussi. C’est ce que prouve la publication d’une dizaine d’images de surveillance sur des pages Facebook de garde-côtes libyens, entre 2018 et 2022.
Le Monde a recoupé ces images avec des données disponibles en source ouverte et des informations récoltées par des ONG actives en mer Méditerranée, qu’elles ont accepté de nous fournir. Elles sont librement accessibles ici. Ce travail nous permet d’affirmer que sept de ces images ont bien été produites par des aéronefs de Frontex.
C’est par exemple le cas des trois images datées du 8 mai 2019. On y voit un patrouilleur libyen en train de transférer à son bord près de 70 personnes qui tentaient de rejoindre l’Europe. Mais ces images montrent aussi l’invisible : si les garde-côtes libyens ont pu rattraper cette embarcation de migrants et demandeurs d’asile, c’est grâce à une aide extérieure, celle de Frontex. Car les Libyens, qui ne disposent que de quelques patrouilleurs et d’aucun avion de surveillance, peuvent difficilement trouver de si petites embarcations par eux-mêmes.
Frontex assure ne pas collaborer avec les garde-côtes libyens, et précise : « Chaque fois qu’un avion de Frontex découvre une embarcation en détresse, une alerte – et une image, le cas échéant – est immédiatement envoyée au centre de coordination des sauvetages régional. » Mais le centre de coordination des sauvetages libyen pose question : très difficilement joignable, il n’est, selon des ONG spécialisées dans le sauvetage en mer, qu’une façade derrière laquelle se trouvent les garde-côtes libyens.