Raphaël Enthoven publie Krasnaïa, une sorte de « mise à jour » 2022 de La Ferme des Animaux d’Orwell, satire de nos démocraties à l’heure de la « cancel culture » et des réseaux sociaux. Un récit, non pas un roman… pour nous faire sentir qu’on n’est pas si loin de la réalité ? « C’est la chronique d’une communauté dont les événements, les péripéties, engagent d’autres communautés, explique Raphaël Enthoven. Donc il y avait une valeur d’exemplarité à ce que je racontais. Je voulais faire quelque chose que l’on puisse lire à deux niveaux. A la fois comme une histoire marrante d’animaux et à la fois comme la parabole de la démocratie dans laquelle nous tentons de vivre. »
Sur la forme, la référence à Orwell est évidente et, sur le fond, Raphaël Enthoven semble avoir voulu nous rappeler Tocqueville, à savoir que les démocraties recèlent en elles-mêmes des faiblesses, des menaces, pour la démocratie. « C’est le génie de Tocqueville, commente notre invité, quand il pointe ‘les despotismes sournois à l’œuvre dans la démocratie’. Il repère le fait qu’une liberté mal comprise, mal utilisée, négligée par ses bénéficiaires, est une liberté qui se retourne contre elle-même, notamment par la tyrannie de la majorité. Phénomène que l’on retrouve aujourd’hui sur les réseaux sociaux. Moi, j’ai voulu à ma façon décrire avec des animaux la manière dont une démocratie, sans adversité, est exposée à un suicide de la liberté. »
Ecrire sur des animaux, est-ce une façon de se protéger, à la manière d’un internaute qui écrirait derrière un pseudonyme ? « Je ne m’en cache pas, les animaux ressemblent à des personnages que l’on peut aisément identifier. Mais ces personnages, ne sont pas seulement eux-mêmes mais sont aussi des types démocratiques, comme la démagogue qui essaye de tamiser son discours, le jeune loup dont on ne sait pas s’il est pour la compétition ou l’égalité… »
Dans ce monde, les faits sont souvent remplacés par des opinions. Quelque chose que nous sommes nous aussi en train de vivre de façon inéluctable ? « Les faits sont remplacés par des opinions en vertu d’une pathologie démocratique aisément identifiable qui consiste à confondre l’égalité des droits et l’équivalent des compétences, répond l’essayiste. C’est le sentiment qu’il suffit de passer dix minutes sur Doctissimo pour expliquer à son médecin comment se soigner ! C’est un chemin qui se vit comme libératoire alors qu’il est aliénant. »
Dans ce monde animal, les albinos rappellent furieusement les indigénistes et l’ensemble des communautarismes que Raphaël Enthoven combat régulièrement. Médias et réseaux sociaux ne donnent-ils pas plus de place à ces phénomènes qu’ils n’en occupent réellement ? « Je ne crois pas. Je crois que cela correspond à une tendance très profondément inscrite en démocratie à savoir que l’identitarisme, d’extrême droite ou d’extrême gauche, est si puissant car nous avons les moyens numériques de vivre dans un monde parallèle et de prendre nos opinions pour la vérité. »