Le pianiste Ismaël Margain joue la Sonate pour piano n°31 en la bémol majeur op. 110 composée en 1821-1822 par Beethoven et dédiée au départ à Antonia Brentano, à qui Beethoven dédia finalement les Variations Diabelli.
La Sonate n° 31 partage plusieurs points communs avec la Sonate n° 30. Les deux partitions, relativement brèves, comportent trois mouvements, le dernier (le plus long) faisant office de mouvement lent. Elles privilégient le cantabile et réservent les accents conquérants au deuxième mouvement, un scherzo irrégulier. Mais l’opus 110 se distingue par sa recherche encore accrue de continuité, puisque tous ses mouvements s’enchaînent (une idée déjà à l’œuvre dans l’opus 27 de 1801). En outre, Beethoven commence dans un tempo modéré, pas avec un allegro. Aux premières mesures, calmes et expressives, succèdent des volutes d’arpèges qui, vers la fin du mouvement, se superposent à la mélodie initiale. D’autres motifs apparaissent dans ce Moderato où le pianiste semble suivre les caprices de sa fantaisie.
L’Allegro molto se déroule sur un rythme de marche rapide qui parfois piétine, parfois se déhanche sur des accents décalés. En dépit de son écriture plus fluide, la partie centrale n’efface pas l’instabilité qui infiltre le mouvement. Ce scherzo n’est-il pas un moment transitoire menant à l’étonnant finale, où Beethoven invente une forme sans précédent ? L’Adagio, ma non troppo commence dans l’esprit d’une marche funèbre, puis fait en - tendre un récitatif non mesuré et, enfin, un Klagender Gesang (« Chant plaintif »). Cette référence à la voix, si prégnante chez Beethoven dans les années 1820, se double d’une éloquence libérée des italianismes en vogue à l’époque.
À la fin de sa vie, Beethoven approfondit trois façons de faire proliférer un matériau musical : la variation, le développement et la fugue. Dans l’opus 110, il choisit la troisième de ces options. Après l’épisode douloureux du Klagender Gesang, le mouvement se poursuit avec une fugue dont le sujet étonne par sa simplicité et son caractère « impersonnel ». Quelle différence avec la fugue âpre et agressive de la Sonate n° 29 « Hammerklavier » ! Le discours se déroule sans heurt, même si de solides basses à la main gauche imposent leurs piliers impérieux. Mais le contrepoint, soudain, s’interrompt sur un accord suspensif : le Klagender Gesang revient, comme exténué (« ermattet », indique la partition). La mélodie, plus ornée, s’essouffle sur des silences qui fragmentent sa ligne. Une seconde fugue, sur le sujet renversé de la première (les intervalles initialement descendants deviennent ascendants et réciproquement), réintroduit une certaine sérénité, bientôt perturbée par d’insolites claudications. Les notes brèves se multiplient, rappelant l’écriture du premier mouvement. Si les Sonates op. 109 et 111 s’achèvent dans un souffle, pianissimo, Beethoven conclut ici avec éclat, mais sans virtuosité ostentatoire, comme s’il préférait intérioriser sa victoire.