Francis Ford Coppola brigue une troisième Palme d'or avec une œuvre personnelle et déconcertante, en raison de son côté décousu et son rendu aussi baroque que kitsch.
Pour tous les cinéphiles, la venue de Francis Ford Coppola est l'événement à ne pas manquer sur la Croisette. La raison ? "Le Parrain" du cinéma a marqué l'histoire du festival avec deux Palmes d'or (Conversations secrètes et Apocalypse now, obtenues en 1974 et 1979), et n'avait plus signé de films depuis Twixt sorti en 2012. S'ajoute à cela le fait que ce nouveau projet, Megalopolis, lui tient à cœur depuis des années, pour ne pas dire décennies, et qu'il n'a pas hésité à investir des dizaines de millions de sa fortune personnelle pour qu'il voie enfin le jour, sous une forme personnelle, sans subir la pression des studios hollywoodiens. Une liberté de tous les instants. Peut-être même sans limite, puisque selon un article du journal britannique The Guardian, le réalisateur aurait eu un comportement inapproprié sur le tournage de certaines scènes…
La promesse d'une fable hors norme s'accompagne souvent d'un prestigieux casting, dans lequel on retrouve aux côtés d'Adam Driver, Nathalie Emmanuel (Game of Thrones), Dustin Hoffman ou encore Laurence Fishburne. Et comme si cela ne suffisait pas, pour faire monter la pression, la première projection réservée aux journalistes n'avait pas lieu dans le célèbre palais, mais dans un cinéma aux abords de Cannes, avec des navettes qui amenaient jeudi, à sept heures du matin, les critiques (dont Pierre Lescure, l'ancien président du Festival de Cannes) dans une salle Imax taillée pour en mettre plein la vue. Beaucoup de bruit donc… pour pas grand-chose, tant le film déroute dans ses partis pris et fait (volontairement ?) dans le kitsch.
Arrêter le temps
À 85 ans et à la vue de son immense carrière, Francis Ford Coppola n'a plus rien à prouver. C'est un artiste libre, qui fait un geste, tente, essaie… sans chercher à plaire ni se soucier véritablement du résultat final. Difficile donc de résumer ce Megalopolis décousu qui se déroule dans la ville fictive de New Rome qui, comme son nom le suggère, mélange les esthétiques de New York et de la Rome antique.
Ordinateurs, télés et autres objets technologiques côtoient jeux en arène façon péplum, habits d'époques comme la palla ou la stoga… Pour faire encore plus dans le baroque, Jon Voight s'habille même en Robin des bois. Quant au personnage d'Adam Driver, il s'appelle Cesar. Et si un jour, il a un fils, il sera nommé Francis ! Une petite pirouette malicieuse et mégalo, que l'on préfère prendre au second degré. On y préférera quelques fulgurances, tel ce moment où il brise véritablement le 4e mur avec un acteur qui vient sur scène, pendant une petite minute, donner la réplique à Adam Driver. Le regard du comédien étant filmé en conséquence. Audacieux.
L'intrigue tourne essentiellement sur l'histoire d'amour de Cesar avec une jet-setteuse, Julia, la fille du maire, dont il compte prendre la place pour imposer une nouvelle politique. Une guerre de pouvoir à laquelle se mélange le passé trouble de cet architecte, autrefois accusé, mais acquitté du meurtre de son épouse. Dans le même temps, un bad-buzz sur une de ses coucheries avec une célébrité fait la Une et une tentative de meurtre se prépare sur son dos. Autant de thématiques brassées en vrac, sans véritable liant. L'exemple le plus frappant est le rapport au temps. Cesar ayant en effet la capacité de le stopper à sa guise. Un pouvoir mal exploité et qui ne sert finalement à rien. Si ce n'est à décliner une des obsessions du cinéaste. Le temps ayant en effet souvent été décliné dans sa filmographie.
Un film ovni
Pour apprécier a minima le film, il vaut mieux alors le voir sous un autre prisme. En l'occurrence, celui d'un artiste conscient de son âge et qui parle de lui et d'un monde dans lequel il ne se reconnaît plus, où les statues des dieux s'effondrent les unes après les autres… Mais sont encore vivantes, tentent de se remettre d'aplomb. La question de la relève, d'une jeunesse voulant imposer à son tour ses idées, d'un peuple en colère, donne à cet objet un sens et une légitimité.
Un peu trop maniéré et loin de ses chefs-d'œuvre, cet ovni, forcément hybride, a donc, sauf surprise, peu de chance de permettre à son auteur d'être le premier réalisateur de l'Histoire à glaner trois fois la Palme. Elle laisse alors aussi un goût amer aux spectateurs nostalgiques, qui attendent trop du maestro, en refusant d'admettre, finalement, que le temps du "Parrain" est bel et bien révolu.