Les amateurs de roman noir le tiennent aujourd’hui en haute estime et le considèrent comme un précurseur du « néo-polar », ce courant apparu à la fin des années soixante-dix qui fit prendre un tournant militant au roman noir français, principalement dans le sens du gauchisme. Jean Amila est l’auteur d’une vingtaine de romans à la Série Noire, dont Jusqu’à plus soif (1962), La Lune d’Omaha (1964) ou Le Boucher des Hurlus (1982) qui sont des petits bijoux en la matière. Cultivant des opinions anarchistes, il a en effet politisé le roman noir dès les années 1950 mais à la différence d’un Jean-Patrick manchette, l’un des instigateurs du néo-polar, il a su créer une langue à lui, qui semble d’ailleurs avoir jaillie de nulle part, et ne s’est pas contenté de singer Dashiell Hammett ou Raymond Chandler. Mais sa production à la Série noire en est venue à occulter la première partie de son œuvre, celle publiée sous son nom, que les éditions Joëlle Losfeld ont entrepris de rééditer depuis quelques années et qui vaut largement la deuxième. Car avant Jean Amila, il y a en effet Jean Meckert, né en 1910 dans le dixième arrondissement de Paris dans une famille de prolétaires. Dans certaines biographies, on lit encore que son père, anarchiste lui aussi, fit partie des fusillés pour l’exemple de 1917, ce qui aurait nourri la haine de l’armée du fils. Il semble pourtant acquis que son père a déserté et abandonné son foyer, et que sa mère inventa le mensonge pour éviter le déshonneur. Il n’en reste pas moins qu’elle supporta mal le choc et fut internée en asile psychiatrique, le fils placé en orphelinat.
Le jeune Meckert devint apprenti à treize ans, puis employé de banque durant la crise de 1929, salarié d’un garage ensuite. Mobilisé en 1939, il se retrouva interné en Suisse avec son unité au terme de la « drôle de guerre », expérience qu’il racontera dans La Marche au canon, un inédit publiée par Joëlle Losfeld en 2005. C’est lors de ces vacances forcées qu’il écrivit son premier livre, Les Coups, avant de l’envoyer à Gallimard. Raymond Queneau, qui y était lecteur, en fut émerveillé, et le livre parût en 1941, salué notamment par André Gide et Roger Martin du Gard.
Très pessimiste, le roman met en scène un manœuvre et son épouse comptable dont la difficulté à communiquer va engendrer la violence et les coups. Au-delà de la description d’un amour en miettes, Meckert confronte deux milieux sociaux et leur psychologie : celui des ouvriers fiers de leur appartenance au prolétariat et celui des employés de bureau qui singent les manières de la petite-bourgeoisie par désir de s’élever dans la hiérarchie sociale. On trouve dans ce premier roman les thèmes récurrents de l’écrivain : l’incommunicabilité, la solitude, l’échec, et la révolte qui finit par en découler.
Meckert, qui au retour de Suisse avait trouvé un emploi de bureau à la mairie de XXe arrondissement, en démissionne pour vivre de sa plume. Suivront L’Homme au Marteau et La Lucarne, deux romans étouffant