L'Orchestre national de France placé sous la direction d'Emmanuel Krivine joue la Symphonie n°5 de Piotr ilytch Tchaïkovski (1840-1893). Extrait du concert enregistré le 31 mai 2018 en direct de l'Auditorium de la Maison de la Radio (Paris).
Début 1888, une tournée européenne conduit Tchaïkovski jusqu’à Hambourg où il fait la connaissance du directeur de la Société philharmonique, l’octogénaire Théodore Avé-Lallemant. Ce dernier, tout en lui exprimant son admiration, lui suggère de quitter la Russie, responsable des aspects parfois trop clinquants de sa musique ! Moins d’un an plus tard, sans rancune, Tchaïkovski lui dédie sa nouvelle Cinquième Symphonie. Si onze ans séparent la Quatrième Symphonie de la Cinquième, elles ont en commun une même organisation du matériau musical autour d’un motif récurrent, symbolisant le destin. Dans la Quatrième, le «fatum » (terme employé par Tchaïkovski dans une lettre à sa mécène Nadejda von Meck) revenait dans trois des quatre mouvements. Le leitmotiv de la Cinquième est plus présent encore, véritable « idée fixe » au sens berliozien du terme, qui apparaît dans les quatre mouvements et leur donne une force tragique implacable. Sur une feuille d’esquisse, Tchaïkovski avait écrit à propos du début de sa symphonie « Introduction : soumission totale devant le destin ou, ce qui est pareil, devant la prédestination inéluctable de la Providence ».
Le motif est formulé à l’ouverture de la partition (cordes graves, bassons et clari - nettes), introduction sombre que suit un Allegro con anima sur un rythme pointé d’un « lyrisme haletant » (André Lischke). Le premier mouvement se referme dans les graves, sur une nuance triple piano. « Tchaïkovski a cru dans le pouvoir évocateur des plus infimes pianissimos, explique le chef russe Valery Gergiev dans un récent livre. Il y a des passages, dans ses partitions, qui débutent par un simple piano, ce qui signifie que la musique doit être jouée avec une délicatesse particulière. Et puis viennent un double piano, puis un triple (…). Cette graduation vers le silence pur m’a toujours fasciné. » C’est sur un pianissimo que commence le deuxième mouvement, murmure des cordes graves, avant un grand solo de cor, l’un des plus longs de tout le répertoire symphonique. Le caractère tendre et fervent de l’Andante, riche en cantilènes des vents (cor, hautbois, clarinette…) est interrompu par le surgissement sévère du motif du destin lancé par les trompettes. Le troisième mouvement, le plus bref de la symphonie, est une valse où l’idée-fixe sourd vers la fin. Le dernier mouvement s’ouvre sur le motif transformé : formulé désormais en mode majeur et sous la forme d’un choral. Passage de l’ombre à la lumière, comme dans la Nuit transfigurée de Schoenberg ? Pour Valery Gergiev, la Cinquième Symphonie est « peut-être la plus heureuse des trois dernières. Elle offre un mélange précieux de drame et de légèreté. Pas seulement dans le grand solo de cor [du deuxième mouvement], mais dans toute la partition. Tout y est merveilleusement équilibré. » Le public fut enthousiaste, la critique bouda : « Une symphonie et trois valses, de plus avec une instrumentation prévue pour les effets les plus vulgaires, n’est-ce pas suffisant pour caractériser M. Tchaïkovski comme un compositeur qui n’a plus rien à dire ? N’est-ce pas la preuve de la déchéance totale d’un talent », lit-on dans le journal Dien’ (« Le Jour »).
À cent trente ans de distance, les propos de Gergiev sont une réponse : « (Tchaïkovski) savait particulièrement faire sonner un orchestre, lui donner un impact incroyable. Pour les chefs qui ont à diriger sa musique, c’est une chance et aussi un risque. Il est si facile de tuer l’esprit tchaïkovskien avec un simple forte mal exécuté ! Il ne faut jamais confondre puissance et intensité. Le son de Tchaïkovski ne doit jamais être clinquant ou agressif. Tout son être, toute sa culture, toute sa musique étaient aristocratiques. Le contraire de la vulgarité. (…) Je crois qu’au fil du temps Tchaïkovski avait développé un sens du mystère de la vie et de la mort. Une incroyable peur aussi, les circonstances étranges de sa disparition sont là pour le prouver. À partir de sa Quatrième Symphonie, une âme tourmentée est à l’œuvre. Tchaïkovski prend l’auditeur à la gorge. On sent qu’une force fatidique empêche le bonheur d’atteindre son but. Il ne peut cacher ce trouble obsédant. »
Texte de Laetitia Le Guay
Citations de Valery Gergiev extraites de Valery Gergiev, Rencontre, de Betrand Dermoncourt, paru chez Actes sud de 2018.
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