LA POLITIQUE EN COULISSES - Dominique de Montvalon, rédacteur en chef au Journal du Dimanche, décrypte l'actualité politique. Cette semaine, il évoque les succès du Front national.
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Jusqu’où ira le Front national, qui surfe sur la vague populiste, tourne le dos à l’Europe et a entrepris de fédérer tous les antis (anti-austérité, anti-Europe, anti-institutions, anti-partis, anti-immigrés, anti-impôts, anti-que sais-je?)?
Jusqu’où ira le FN? Même si on passe ces temps-ci d’un extrême à l’autre – le sous-estimer hier, le surestimer aujourd’hui - la question se pose.
Un élu tente de se rassurer tant bien que mal : "Avant, les électeurs du Front national avançaient masqués. Au moment du vote, ils étaient donc sous-estimés. Aujourd’hui, ils s’affichent mais, à ce niveau-là !... Le jour venu, voteront-ils tous réellement FN?".
A l’approche des élections départementales, dans le camp républicain, le trouble est, en tout cas, dans les têtes. "Oui, le Front national peut l’emporter", assure, très inquiet, un des ministres de Manuel Valls qui récuse l’idée d’une "bulle" qui se dégonflerait au premier vent venu, parle d’une "menace durable" et presse gauche et droite de revoir de fond en comble leur stratégie.
Seule évidence : l’abstention qui s’annonce forte sert le Front national car c’est l’électorat de Marine Le Pen qui est aujourd’hui, proportionnellement, le plus mobilisé.
Le Front national de Marine Le Pen doit assumer sa filiation : il est l’héritier du parti d’extrême-droite fondé et si longtemps dirigé par son père, Jean-Marie Le Pen.
En même temps, le FN de Marine Le Pen n’est pas le pur décalque du FN de Jean-Marie Le Pen. Quatre différences, au moins.
Le père et la fille, deux mondes
D’abord, depuis son élection à la tête du parti, Marine Le Pen a l’ambition d’accéder au pouvoir. Différence radicale avec son père qui avait adopté, lui, le registre du grand imprécateur, et s’était trouvé presque encombré de son accession en 2002 au second tour de la présidentielle. Fondamentalement, jamais Jean-Marie Le Pen n’a pensé ni voulu gouverner le pays.
Ensuite, l’ex-député député poujadiste Jean-Marie Le Pen avait ses racines personnelles à droite, très à droite. C’est la décolonisation (et singulièrement le drame de l’Algérie française) qui l’a coupé d’une droite dominée et dirigée alors par la famille gaulliste. Lui fédérait, du coup, tous les anti-gaullistes : ceux de la collaboration, ceux de la décolonisation et, à l’image du Centre national des indépendants et paysans, le CNIP, tous les nostalgiques de la IVe République.
Au fil des scrutins, on aura vu Jean-Marie-Le Pen défendre, contre l’Etat, des thèses économiquement très libérales, qui le situaient à la droite de la droite.
Différence radicale avec sa fille, Marine Le Pen qui, elle, défend ardemment l’Etat et la laïcité, et s’adresse à un électorat populaire aujourd’hui orphelin du parti communiste et qui a le sentiment que ceux d’en-haut, à droite comme à gauche, ne s’intéressent pas à lui.
Troisième différence: si Marine Le Pen est comptable des horreurs que répandent sur les réseaux sociaux un certain nom de candidats FN qui se réclament d’elle, il n’en reste pas moins qu’elle, à la différence de son père, ne s’abandonne, sauf erreur, ni à l’antisémitisme ni au racisme. Ce qui lui a d’ailleurs valu l’autre semaine l’inattendu brevet d’honorabilité républicaine de Roger Cukierman, le président du Crif.
Enfin, Le FN de Marine Le Pen dispose d’une incroyable couverture médiatique. Alors qu’il avait fallu jadis une intervention personnelle –et politiquement intéressée- de François Mitterrand, qui souhaitait diviser la droite, pour que Jean-Marie Le Pen ait accès à la télévision d’Etat.
Deux évidences.
1. Le FN prospèrera tant que certains sujets – qui, à tort ou à raison, préoccupent les Français (et pas seulement le dossier de l’immigration) seront tus, voire tabous. Déjà, Manuel Valls, adepte du parler-vrai, a commencé il est vrai à faire bouger les lignes.
2. Ce n’est pas – ou plus - les excommunications moralisatrices qui peuvent stopper le FN. Un parti très hétérogène en réalité, et plus fragile qu’il n’y parait, mais avec lequel PS et UMP vont devoir apprendre à vivre. Ou à survivre. Car la progression du FN en dit plus, au fond, sur eux -leurs carences, leur enfermement sociologique, leur "entre-soi" - que sur un "projet" frontiste extrêmement flou, volontairement flou et dont , s’il était strictement appliqué, les électeurs frontistes seraient les premiers à faire les frais.