Gilles Sauron, historien de l'art, professeur d'archéologie romaine à l'université Paris IV Sorbonne.
Les styles architecturaux de l’antiquité grecque ont connu une véritable révolution à l’époque augustéenne. Celle-ci s’est traduite par une redéfinition de l’ordre corinthien, appelé à devenir le décor privilégié des monuments publics dans l’ensemble de l’Empire romain, particulièrement celui des sanctuaires.
Ce que l’historien Pierre Gros a appelé le « corinthien romain » correspond à une normalisation des composantes de l’ordre architectural. Ce nouveau canon devait illustrer la doctrine officielle du nouveau régime, centrée sur la représentation d’un nouvel âge d’or, celui du retour de la paix, de l’abondance et de la piété, celui aussi que Virgile (environ 70 à 19 avt J.-C.) célébra dans sa IVe églogue.
Cette doctrine qui devait « changer le visage de la terre », fut renouvelée par le retour du « règne de Saturne », cette fois sous l’égide d’Apollon. Mais ne faut-il pas d’abord reconnaître dans cette révolution ornementale une réaction à l’« esthétique du chaos » qui avait accompagné les convulsions des guerres civiles ?
À partir des années 80 avant J.-C., des compositions ornementales représentant la nature livrée au mélange des règnes et des espèces et exemptée des lois la pesanteur, sont en effet diffusées à Rome et en Italie centroméridionale (Latium et Campanie, surtout).
Nous connaissons bien cette esthétique de la monstruosité, non seulement par les nombreux témoignages archéologiques qui en sont conservés, mais aussi par les réquisitoires enflammés que ses adversaires, comme Lucrèce (99 av. - 55 apr. J.C) et Vitruve (1er siècle avant J.C), ont tenté de lui opposer. Ainsi, la diffusion du corinthien romain doit s’interpréter, au-delà des espérances de ses initiateurs augustéens, comme une conception très élaborée de l’art ornemental qui prétendait, grâce à la mise en scène du chaos originel, délivrer le même message : celui de la renaissance du monde.